Dans le traité Les figures du discours, Pierre Fontanier analyse de nombreux passages de La Henriade de Voltaire.
p.81
« Il fait tracer leur perte autour de leurs murailles. »
Leur perte, pour La cause de leur perte ; et la cause de leur perte, ce sont les travaux que l'on exécute autour des murailles pour les forcer. > métonymie de l’effet
p.83 : note de bas de page
p.95
« Le sage, en l'abordant, garde un morne silence.
le sage, pour Mornai > synecdoque d’individu, ou antonomase
p.105
(…) voici, dans quatre vers de la Henriade qui ne forment qu'une même phrase, le mot Rome employé trois fois dans des sens d'autant plus dignes de remarque, qu'ils sont tous différens l'un de l'autre.
« Rome enfin se découvre à ses regards cruels ,
Rome, jadis son temple et l'effroi des mortels,
Rome, dont le destin, dans la paix, dans la guerre,
Est d'être en tous les temps maîtresse de la terre. »
Rome, dans le premier vers, pour la ville seule; Rome, dans le second, pour la ville et pour les habitants ; Rome, dans le troisième, pour les habitans seuls, ou pour le peuple romain. > syllepse de métonymie
p.114 : commentaire sans citation
p.117 : commentaire sans citation
p.120-121
Le Mythologisme est une expression fictive, empruntée de la Mythologie pour tenir lieu de l'expression simple et commune.
(…) dans la Henriade. Pourrait-on exprimer d'une manière plus gracieuse et plus riante, que Le soleil ramenant le jour, allait reparaître sur l'horizon ?
« L’Aurore cependant au visage vermeil,
Ouvrait dans l'Orient le palais du soleil. »
Dans le même poème, ce n'est pas simplement Coligni plongé dans un profond sommeil, mais c'est Coligni à qui le sommeil verse ses pavots :
« Coligni languissait dans les bras du repos,
Et le Sommeil trompeur lui versait ses pavots. »
ou comme celui de ces vers de la Henriade, où le poëte dit: Les honneurs de Thémis et de Mars, pour Les honneurs civils et les honneurs militaires ; Thémis pour la justice, dont elle étoit la déesse chez les Anciens ; et Mars, pour la guerre, dont il était le dieu :
« Il remarque surtout ces conseillers sinistres,
Qui, des mœurs et des lois avares corrupteurs,
De Thémis et de Mars ont vendu les honneurs. »
p.125
Une belle hyperbole, c'est celle qui termine le second chant de la Henriade et le tableau de la Saint-Barthélemi :
« Et des fleuves français les eaux ensanglantées
Ne portaient que des morts aux mers épouvantées. »
“On sent, dit Laharpe, qu'il y a dans ces vers quelque chose au delà de la vérité ; mais ici la vérité elle-même est si terrible qu'on n'aperçoit pas ce que le poète y ajoute.”
On peut en dire autant de ces deux autres vers du même poème, relatifs à la bataille d'Ivry :
« Les flots couverts de morts interrompent leur course,
Et le fleuve sanglant remonte vers sa source. »
p.137/141
Le Paradoxisme, qui revient à ce qu'on appelle communément Alliance de mots, est un artifice de langage par lequel des idées et des mots, ordinairement opposés et contradictoires entre eux, se trouvent rapprochés et combinés de manière que, tout en semblant se combattre et s’exclure réciproquement, ils frappent l'intelligence par le plus étonnant accord, et produisent le sens le plus vrai, comme le plus profond et le plus énergique.
Voltaire, Henriade :
« L’insensible Valois ressentit cet outrage… »
« Et sa cruauté même était une faiblesse… »
« Et par timidité me déclara la guerre...
« Et s’en fit croire indigne afin d’y parvenir… »
p.143-144
La Prétérition, autrement dite Prétermission, consiste à feindre de ne pas vouloir dire ce que néanmoins on dit très-clairement, et souvent même avec force.
On trouve cité partout ce beau passage du discours où Henri IV, dans la Henriade, retrace à Élisabeth l'horrible journée de la St-Barthélemi :
« Je ne vous peindrai point le tumulte et les cris,
Le sang de tous côtés ruisselant dans Paris ;
Le fils assassiné sur le corps de son père,
Le frère avec la sœur, la fille avec la mère;
Les époux expirans sous leurs toits embrasés;
Les enfans au berceau sur la pierre écrasés. »
Alzire, dans la tragédie de ce nom, vient de donner malgré elle à Gusman sa main promise à Zamore. Obligée de s'expliquer avec celui-ci sur son infidélité involontaire, elle semble négliger le soin de se défendre, et même s'accuser, se condamner elle-même, tandis qu'au contraire elle dit pour sa justification tout ce qu'elle pouvait dire de plus fort et de plus plausible :
« Je pourrais t'alléguer, pour affaiblir mon crime,
De mon père sur moi le pouvoir légitime ,
L'erreur où nous étions, mes regrets, mes combats,
Les pleurs que j'ai trois ans donnés à ton trépas;
Que des chrétiens vainqueurs esclave infortunée,
La douleur de ta perte à leur Dieu m'a donnée;
Que je t'aimai toujours; que mon cœur éperdu
A détesté tes dieux qui t'ont mal défendu.
Mais je ne cherche point, je ne veux point d'excuse :
Il n'en est point pour moi lorsque l'amour m'accuse.
Tu vis, il me suffit : je t'ai manqué de foi :
Tranche des jours affreux qui ne sont plus pour toi… »
Mais ici la prétérition ne s'étend pas jusqu'au dernier vers, comme dans l'exemple précédent : elle finit avec le dixième.
p.163 (la Passion comme cause génératrice des tropes)
Vous vous rappelez la véhémente apostrophe qu'adresse, dans la Henriade, aux soldats qui entrent chez elle, cette mère égarée qui vient d'immoler son fils à sa faim :
« Oui, c'est mon propre fils ; oui, monstres inhumains,
C'est vous qui dans son sang avez trempé mes mains.
Que la mère et le fils vous servent de pâture :
Craignez-vous plus que moi d'outrager la nature ?
Quelle horreur, à mes yeux, semble vous glacer tous !
Tigres, de tels festins sont préparés pour vous. »
N'est-ce pas le désespoir, la fureur, la rage même qui parlent ? On ne peut donc, s'il y a là des Tropes, que les leur attribuer, au moins en très-grande partie. Or, nous y en remarquerons plus d'un : 1°. Trois métaphores, Monstres, pâture, et tigres : et comme pâture, qui ne se dit point au propre de la nourriture de l'homme, se trouve bien assorti à monstres et à tigres ! 2°. Une métalepse :
« C’est vous qui dans son sang avez trempé mes mains, »
pour : C'est vous et ceux que vous servez qui, en causant tous les maux auxquels nous sommes en proie, m avez réduite à tremper mes mains dans son sang. 3° Une épitrope, qui consiste particulièrement dans le troisième vers, et à laquelle donnent tout son effet les trois derniers, en faisant monter à son comble cette même horreur qu'ils semblent vouloir faire vaincre.
p.177-178 (les tropes ne conviennent pas également à tous les sujets)
Nous pourrions citer de la Henriade plusieurs morceaux non moins remarquables que ceux-là sous le même rapport, et non moins sublimes. Nous nous bornerons à deux : le premier est le système de notre monde d'après Copernic et Newton; Chant VII :
« Dans le centre éclatant de ces orbes immenses,
Qui n'ont pu nous cacher leur marche et leurs distances,
Luit cet astre du jour par Dieu même allumé,
Qui tourne autour de soi sur son axe enflammé.
De lui partent sans fin des torrens de lumière;
Il donne, en se montrant, la vie à la matière,
Et dispense les jours, les saisons et les ans
À des mondes divers autour de lui flottans.
Ces astres asservis à la loi qui les presse,
S'attirent dans leur course, et s'évitent sans cesse "
Et servant l'un à l'autre et de règle et d'appui,
Se prêtent les clartés qu'ils reçoivent de lui.
Au delà de leur course, et loin dans cet espace
Où la matière nage, et que Dieu seul embrasse,
Sont des soleils sans nombre et des mondes sans fin :
Dans cet abîme immense il leur ouvre un chemin.
Par delà tous ces cieux le Dieu des cieux réside. »
Le second morceau est le tableau de la Cour céleste ; Chant X :
« Au milieu des clartés d'un feu pur et durable ,
Dieu mit avant les temps son trône inébranlable,
Le ciel est sous ses pieds ; de mille astres divers
Le cours toujours réglé l'annonce à l'univers.
La Puissance, l'Amour, avec l'Intelligence,
Unis et divisés, composent son essence.
Ses saints, dans les douceurs d'une éternelle paix,
D’un torrent de plaisirs enivrés à jamais,
Pénétrés de sa gloire, et remplis de lui-même,
Adorent à l'envi sa majesté suprême.
Devant lui sont ces dieux, ces brûlans Séraphins
À qui de l'univers il commet les destins.
Il parle, et de la terre ils vont changer la face ;
Des puissances du siècle ils retranchent la race ;
Tandis que les humains, vils jouets de l'erreur,
Des conseils éternels accusent la hauteur.
Ce sont eux dont la main, frappant Rome asservie,
Aux fiers enfans du Nord a livré l'Italie,
L'Espagne aux Africains, Solyme aux Ottomans;
Tout empire est tombé, tout peuple eut ses tyrans.
Mais cette impénétrable et juste Providence
Ne laisse pas toujours prospérer l'insolence ;
Quelquefois sa bonté, favorable aux humains,
Met le sceptre des rois dans d'innocentes mains (1).
Mais ce n'est pas seulement pour les idées les plus sublimes, que souvent on néglige les Tropes : on les néglige aussi pour ces affections pénibles qui accablent l’âme, et l'étouffent comme sous leur poids.
(1) Ce sont apparemment ces admirables morceaux et autres semblables, qui ont fait dire à l'un des plus grands écrivains de nos jours, à l'illustre auteur du Génie du Christianisme, que les grandes beautés de la Henriade étaient dues à la Religion. Pourquoi faut-il qu'auprès de ces beautés se trouvent çà et là dans le poème quelques vers qui en sont si peu dignes!
p.192-193 (de l’abus des tropes : métonymie)
Le quatrième chant de la Henriade offre un morceau que l'on voudrait savoir loin d'un poème , le plus beau monument de notre poésie en son genre, comme le plus beau qui ait été consacré à la gloire des Bourbons : c'est ce tableau, si amèrement satirique de la cour de Rome, au temps des Alexandre VI et des Jules II. Mais aucun de ceux mêmes qui ont le plus blâmé ce morceau sous le rapport des convenances, n'a soupçonné qu’il pût prêter à la censure sous le rapport littéraire. Cependant on va voir s’il n'y prête pas en effet.
« Rome, depuis ce temps, puissante et profanée ,
Aux conseils des méchans se vit abandonnée. »
Quatre vers après :
« Et Rome, qu'opprimait leur empire odieux,
Sous ces nouveaux tyrans regretta ses faux dieux. »
Et enfin trois vers plus bas :
« Rome devint l'arbitre, et non l'effroi des rois. »
Voilà Rome employé trois fois par Métonymie. Mais est-ce toujours dans le même sens métonymique ? Cette Rome puissante et profanée, abandonnée aux conseils des méchans, c'est visiblement l'église catliolique et apostolique, le saint empire ecclésiastique, dont Rome est le chef-lieu. Cette Rome qui, sous l'oppression d'un odieux empire, regretta ses faux dieux, ne peut être que le peuple romain, considéré sous le rapport civil et politique. Et cette Rome, devenue l’arbitre des rois, qu'est-elle, si ce n'est la cour romaine, le gouvernement papal, ou en général les papes, comme chefs de l'église, et souverains de Rome? Ce sont donc là trois sens métonymiques tous différens ; ou, si le premier et le dernier semblent avoir entre eux quelque rapport, ne sont-ils pas mis par celui du milieu à une aussi grande distance l'un de l'autre que s'ils étaient contraires ? Or, que dire de ce passage successif et si subit d'un sens du même mot à un autre sens ? N'en résulte-t-il pas nécessairement quelque disparate? Et de cette disparate, ne pourrait-il pas naître quelque confusion dans l'esprit du lecteur? (Commentaire classique de la Henriade.)
p.194 (de l’abus des tropes : personnification)
Voltaire dit dans la Henriade, chant IX :
« C’est là, c'est au milieu de cette cour affreuse,
Des plaisirs des humains, compagne malheureuse,
Que l'Amour a choisi son séjour éternel. »
Quelle est cette cour affreuse, compagne malheureuse des plaisirs des humains ? C'est tout ce qui compose la cour, le cortége du dieu enfant : les plaintes, les dégoûts, la peur, l'imprudence, la jalousie, la haine, et en général tous ces êtres allégoriques que le poëte vient de créer dans les vers qui précèdent. On ne peut donc voir dans cette cour, qu'une sorte de personne générale et collective, telle que celle que présentent les mots ville et province, lorsqu'ils sont pris pour tous les habitans d'une province ou d'une ville. Par conséquent, on ne peut y voir qu'une personnification, et cette personnification est encore déterminée par le mot compagne, qui ne peut se dire que des personnes, ou que des choses personnifiées. Mais les plaisirs des humains sont-ils eux-mêmes personnifiés ? peuvent-ils même l'être? Voilà donc une personnification jointe à une abstraction, au lieu de l'être à une autre personnification. Voilà, par conséquent, une image tronquée, imparfaite, et qui même manque de vérité.
C'est à-peu-près le même défaut dans ces autres vers du même chant de ce poëme :
« Les plaisirs, qui souvent ont des termes si courts,
Partageaient ses momens et remplissaient ses jours.
L'Amour, au milieu d'eux, découvre avec colère,
À côté de Mornai, la Sagesse sévère.....
Dans les deux premiers vers, les plaisirs ne sont pris qu'abstractivement pour Jouissances ou affections agréables de l’âme et des sens ; et dans le troisième, ainsi que plus loin, ces mêmes plaisirs sont véritablement personnifiés et donnés pour des êtres allégoriques. On sent assez combien tout cela jure et répugne, combien il y a peu de rapport et de cohérence entre les idées. (Commentaire classique de la Henriade. )
p.194 (du passage trop brusque d’un trop à un autre…)
Henriade, chant III :
« D’Aumale est du parti le bouclier terrible :
Il a jusqu'aujourd'hui le titre d'invincible.
Mayenne, qui le guide au milieu des combats,
Est l'âme de la Ligue, et l'autre en est le bras. »
Ce bras de la Ligue, c'est d'Aumale lui-même, ce d'Aumale que Mayenne guide au milieu des combats. Mais ce même d'Aumale vient d'être représenté comme un bouclier, et c'est tel qu'un bouclier qu'on croit le voir encore : comment donc peut-il devenir tout-à-coup un bras ? Chacune des deux images est en elle-même très-belle ; mais pouvez-vous bien les séparer l'une de l'autre, et s'offrent-elles à vos yeux, autrement que comme pour s'entre-détruire ? Le défaut est, je le veux, moins choquant que dans les exemples qui précèdent ; mais il ne l'est que trop encore pour tout lecteur attentif.
p.229 (figures de pensées)
Personnification de pensée :
Henriade, chant VII :
« Là git la sombre Envie, à l'œil timide et louche,
Versant sur des lauriers les poisons de sa bouche.
Le jour blesse ses yeux dans l'ombre étincelans:
Triste amante des morts, elle hait les vivans.
Elle aperçoit Henri, se détourne et soupire.
Auprès d'elle est l'Orgueil, qui se plaît et s'admire ;
La Faiblesse au teint pâle, aux regards abattus,
Tyran qui cède au crime et détruit les vertus ;
L'Ambition sanglante, inquiète, égarée,
De trônes, de tombeaux, d'esclaves entourée;
La tendre Hypocrisie aux yeux pleins de douceur :
(Le ciel est dans ses yeux, l'enfer est dans son cœur) ;
Le Faux-Zèle étalant ses barbares maximes,
Et l'Intérêt enfin, père de tous les crimes.
Vous voyez, dans cette belle fiction poétique, à combien de pures et vaines abstractions la Personnification donne comme par enchantement l'être et la vie, un corps et une âme. Mais cette personnification, examinez-la bien, est-elle la même que celle dont nous avons fait une figure d'expression, que celle, par exemple, de ces vers :
Les Plaisirs près de moi vous chercheront en foule...
Sur les ailes du Temps la Tristesse s'envole....
La Gloire et la Vertu leur montrent le chemin.....
La Raison, pour marcher, n'a souvent qu'une voie....
Le Parnasse parla le langage des halles ?
Ici, vous en conviendrez, la personnification n'est vraiment qu'un jeu d'expression, qu'une façon de parler, où, pour rendre la pensée plus sensible, on la met en image, mais que personne ne prend à la lettre, et que tout le monde, au contraire, traduit aussitôt en soi-nlême par l'expression simple : Vous trouverez près de moi toutes sortes de plaisirs; La tristesse passe bien vite avec le temps : Ils s'en vont, ne consultant que la gloire et que la vertu : Nous n'avons souvent, pour marcher, qu'une seule voie indiquée par la raison : Le langage de la poésie ressembla au langage des halles.
Dans l'exemple de la Henriade, au contraire, vous ne substituerez pas une autre expression à celle du poëte, mais vous prendrez à-peu-près celle du poëte à la lettre; et, si vous n'adoptez pas pour êtres vraiment physiques ceux qu'il semble vous donner réellement pour tels, vous leur laisserez du moins par supposition et pour le moment une sorte de vraie existence. Enfin, vous reconnaîtrez que cette personnification est absolument indépendante des mots, et qu’elle est toute dans la pensée ; qu'elle est à-peu-près comme la personnification qui a produit tous les êtres de la fable ; et peut-être penserez-vous que le nom de fabulation pourrait, en conséquence, lui convenir assez bien : car elle diffère trop du mythologisme, pour être appelée de ce dernier nom.
p.238-251 (reconnaître les tropes)
III
Voltaire, dans la Henriade :
« Le trône est sur l’autel, et l'absolu pouvoir
Met dans les mêmes mains le sceptre et l'encensoir. »
Quatre Métonymies du signe : d'abord, le trône, pour l'autorité royale, et l'autel, pour l'autorité ecclésiastique, servant de fondement à la première; et puis, le sceptre et l'encensoir, pour les fonctions du gouvernement et pour les fonctions du sacerdoce. De ces quatre Métonymies, résultent deux Allégorismes, l'un formé par les deux premières avec les mots qui s'y rapportent, l'autre par les deux dernières.
IV.
Henriade, chant IV :
« Il combat, on le suit, il change les destins :
La foudre est dans ses yeux, la mort est dans ses mains.
La foudre, pour Le feu, l'éclat de la foudre : synecdoque du tout, dans laquelle on peut voir une sorte de métaphore : Quelque chose qu'on dirait la foudre, ou qui ressemble à la foudre. La mort, pour Ce qui donne la mort, ou est l'instrument de la mort : Métonymie de l’effet pour la cause instrumentale. Mais point de métaphore, parce que l'idée de mort est une idée abstraite, et non pas une idée sensible, comme celle de foudre.
V.
Henriade, chant VII :
« La tendre Hypocrisie aux yeux pleins de douceur :
Le ciel est dans ses yeux, l'enfer est dans son cœur. »
L'Hypocrisie, personnage allégorique, imaginé à plaisir par le poëte, qui, sans en faire, comme de la Discorde, un des agents surnaturels de son poëme, lui donne cependant par la fiction une sorte d'existence réelle : Personnification de pensée, c'est-à-dire, Fabulation.
Le Ciel, pour La bonté , la sérénité, l'innocence , la douceur du Ciel : l'Enfer, pour L'atrocité, la noirceur, la scélératesse de l'Enfer : espèces de synecdoques du tout, pour quelque chose du tout, pour la partie. Et si, d'un autre côté , ce n'est pas au Ciel ni à l'Enfer même, mais aux habitants du Ciel ou aux habitants de l'Enfer, qu'appartiennent respectivement toutes ces qualités, le Ciel et Enfer seront, de plus, deux métonymies du contenant pour le contenu. C'est bien le cas de dire : Que de sens, que de profondeur dans un mot, et que de choses !
XVI
Voltaire, Henriade , Chant II :
« Du haut de ce palais excitant la tempête ,
Médicis à loisir contemplait cette fête;
Ses cruels favoris, d'un regard curieux,
Voyaient les flots de sang regorger sous leurs yeux ;
Et de Paris en feu, les ruines fatales
Étaient de ces héros les pompes triomphales. »
La tempête excitée par Médicis n'est pas sans doute une tempête physique, mais une tempête politique et morale. Le mot Tempête n'est donc pas là au propre, mais au figuré : c'est une Métaphore, parce que le rapport qui sert de fondement au Trope est un rapport d'analogie , de ressemblance.
Des assassinats, des massacres et les horreurs qui les accompagnent, ne sont pas , assurément, une fête : c'en est même tout le contraire ; mais c'en pouvait être, et c'en était effectivement une pour la féroce Médicis : autre Métaphore, mais Métaphore à contre-sens, et, en d’autres termes, Métaphore ironique. Par conséquent, Métaphore et Ironie tout ensemble, mais avec cette différence que la Métaphore est toute dans le mot, et l’ironie dans l'intention qui le fait employer.
Curieux, joint à regard, ne peut être que pour Plein de curiosité, que pour Avide. En ce sens , il ne se dit que des personnes seules. Mais la curiosité, quand ce sont les objets de la vue qui l'excitent, se manifeste tellement par les yeux et par les regards, qui ne sont que les yeux regardans ou que leur action de regarder, qu'elle paraît y être toute entière, comme l’âme elle-même. On peut donc, d'après l'extrême conformité qui existe à cet égard, soit entre les regards et les yeux, soit entre les yeux et la personne, l'attribuer aussi aux yeux et aux regards. Or, c'est là une sorte de Métaphore.
Tout Paris eût été égorgé qu'on eût vu à peine, je crois, regorger des flots de sang. Il y a donc de l’hyperbole dans l'expression. Mais cette hyperbole naît si naturellement de l'horreur qu'inspire un tel spectacle, que, loin de la trouver outrée, on ne la trouve même pas hardie.
Des assassins , appelés des héros ! et des ruines, qui sont des pompes triomphales ! Deux métaphores à contre-sens, et dont il résulte une ironie soutenue.
XVII.
Henriade, Chant IV :
« La Discorde a choisi seize séditieux,
Signalés par le crime entre les factieux;
Ministres insolens de leur reine nouvelle,
Sur son char tout sanglant ils montent avec elle:
L'Orgueil, la Trahison, la Fureur, le Trépas,
Dans des ruisseaux de sang marchent devant leurs pas. »
Ce qui distingue ces ver et en fait l’âme et la vie, c'est la Personnification avec l’Allégorisme. Cinq êtres moraux ou abstraits personnifiés : d'abord, la Discorde, qui choisit seize séditieux pour ses ministres, et les fait monter avec elle sur son char : et puis l’Orgueil, la Trahison, la Fureur, le Trépas, qui marchent devant eux dans des ruisseaux de sang.
Mais ces cinq Personnifications n'ont pas toutes, il s'en faut, le même caractère. La première est bien plus marquée que les autres, et tient bien moins sans doute au tour de l'expression qu'au plan même et au fond du poëme, dont elle ne contribue pas peu à former ce qu'on appelle le merveilleux : on sait assez que le poëte a fait de la Discorde, non-seulement un être allégorique, mais même une sorte d'être surnaturel, auquel il donne la plus grande influence sur l'action qu'il raconte. C’est donc une personnification de pensée, une Fabulation.
Pour les quatre autres Personnifications, elles ne sont vraiment que des façons de parler nobles et hardies, mais dont la hardiesse pourtant n’est pas telle qu'un orateur ne pût bien les employer dans un morceau d'éloquence passionnée. Elles forment, avec les termes qui les accompagnent, un Allégorisme qui achève le tableau, aussi vrai qu'effrayant, commencé par l'Allégorisme de ces ministres insolens qui montent sur le char sanglant de la Discorde.
XVIII.
Henriade, Chant VII :
« Quels sages rassemblés dans ces augustes lieux,
Mesurent l'univers et lisent dans les cieux ;
Et dans la nuit obscure, apportant la lumière,
Sondent les profondeurs de la nature entière ?
L'Erreur présomptueuse à leur aspect s'enfuit,
Et vers la Vérité le Doute les conduit.
Et toi, fille du ciel, toi, puissante Harmonie,
Art charmant, qui polis la Grèce et l'Italie,
J'entends de tous côtés ton langage enchanteur,
Et tes sons, souverains de l'oreille et du cœur.
Français, vous savez vaincre et chanter vos conquêtes :
Il n'est point de lauriers qui ne couvrent vos têtes. »
Dans le second vers, deux Métaphores, les verbes mesurer et lire : l'univers ne se mesure pas comme un corps, ni comme un espace dont nous pouvons parcourir physiquement l'étendue ; il ne se mesure que par les savantes combinaisons du calcul et du raisonnement. Et qu'est-ce que Lire dans les cieux ? C'est reconnaître les divers astres qui y brillent, les lois éternelles auxquelles ces astres obéissent, et les merveilleux phénomènes qu'ils offrent à notre admiration.
Dans les deux vers qui suivent le second, deux Allégorismes, et ces Allégorismes , remarquables en ce que l'objet de l'un sert comme de moyen à l'objet de l’autre : c est à la faveur de cette lumière métaphorique apportée par eux-mêmes dans la nuit obscure, que ces sages sondent les profondeurs métaphoriques de la nature entière.
Le cinquième et le sixième vers, encore plus hardis, offrent trois belles Personnifications avec deux Allégorismes charmants : L'Erreur présomptueuse qui s'enfuit à l’aspect des sages, et Le Doute qui conduit ces mêmes sages vers la Vérité.
Dans les quatre vers d'après, vers en apostrophe et pleins d'enthousiasme, l'Harmonie est évidemment personnifiée, puisqu'on la fait fille du Ciel, et qu'on lui attribue un langage.
Souverains ne se dit pour maîtres, qu'en parlant des personnes : c'est donc par une Métaphore assez hardie qu'il se trouve ici appliqué à des sons. Quant à l'oreille et au cœur, ils y sont pour l'âme, par une métonymie du physique pour le moral.
Les deux vers qui terminent ce beau morceau respirent sans doute le même enthousiasme que les précédens, et ils forment ensemble une nouvelle apostrophe ; mais nous n’avons à y remarquer que les Tropes. Or, admirez-y un bel Allégorisme, et voyez que de sens et que de choses sous cette image :
« Il n'est point de lauriers qui ne couvrent vos têtes. »
C'est-à-dire: Vous excellez en tout, et dans la guerre et dans les beaux-arts ; il n est aucune sorte de gloire qui vous soit étrangère.